Émission de France-Culture animée par Jacques Munier, 20 mars 2018
C’est la Journée internationale de la francophonie, Emmanuel Macron présente aujourd’hui un « plan d’ensemble pour le français et le plurilinguisme dans le monde », avec le soutien à l’éducation, notamment en Afrique, qui devrait connaître la plus forte croissance du nombre de locuteurs en français.
274 millions de personnes dans le monde parlent français, d’après le Rapport de l’Observatoire de la langue française, « ce qui fait de la langue de la Franco-Marocaine Leïla Slimani, de l’Haïtien Dany Laferrière, du Congolais Alain Mabanckou ou de l’Ivoirienne Tanella Boni la cinquième la plus parlée sur la planète, et peut-être d’ici à 2050 la deuxième, si l’on se fie aux projections démographiques » souligne l’édito de Courrier international, qui consacre un dossier à l’événement.
La première ville dans le monde où l’on parle français ne s’appelle plus Paris mais Kinshasa, avec ses 12 millions d’habitants.
La France est en train de le comprendre, la francophonie n’est plus son apanage, mais un formidable outil partagé, au service – notamment – de l’éducation, de l’économie et de la culture. »
Francophonie
L’hebdomadaire rassemble, de l’Afrique du sud – où le français n’est plus la langue de la France – au Royaume-Uni, où les ambitions de Macron – faire du français la première langue d’Afrique et “peut-être” du monde – suscitent le doute, une sélection d’articles qui reflètent l’ambivalence à l’égard d’une Organisation de la francophonie tentaculaire, aux objectifs mal définis et trop souvent court-circuités par les intérêts de la France, notamment en Afrique. Sur le site Middle East Eye, l’écrivain algérien Adlène Meddi perçoit même des relents de néocolonialisme dans le volontarisme de Macron. Dont il estime par ailleurs qu’il ne se donne pas les moyens de ses ambitions, « alors que le gouvernement français a annulé 60 millions d’euros du programme “Diplomatie culturelle et d’influence”, fait baisser de 11 % les subventions des Alliances françaises tout en réduisant la voilure budgétaire des établissements d’enseignement du français à l’étranger ». S’il est vrai qu’en Roumanie le français reste une langue plus vivante que jamais, comme l’affirme Matei Martin dans le magazine culturel Dilema Veche, comment la France pourrait-elle « exporter » par sa langue les valeurs de la culture politique et civiques qui sont les siennes et convaincre, « alors que si elle milite, à l’extérieur, pour la diversité, elle peine tant à la défendre sur son propre territoire ? » Au Liban, en revanche, « la francophonie perd pied » comme le déplore Elie Fayad. L’éditorialiste du très francophone L’Orient-Le jour s’attriste même « du processus par lequel une nation peut, en silence, perdre petit à petit une partie de son âme. Car à côté de l’héritage arabo-levantin, duquel les Libanais n’ont guère à rougir, leurs aïeux ayant grandement contribué dès le XIXe siècle à sa renaissance et à son éclat dans les arts et les lettres, la francophonie fut aussi pendant longtemps et reste une autre manière d’être libanais, nullement en rupture avec la première. »
"Monsieur Macron, libérez la francophonie du Quai d’Orsay !"
Le débat se poursuit dans La Croix, où Benjamin Boutin estime que la France ne doit pas prendre « les rênes de la francophonie ». L’auteur du rapport sur L’élan de la francophonie rappelle que « Longtemps une idée franco-française et autocentrée de la francophonie a prévalu. Or il n’y a pas une France au centre entourée d’une périphérie francophone. La francophonie est intrinsèquement polycentrique, tel un archipel planétaire. Et elle n’est pas que du ressort des États, mais aussi des acteurs économiques, des universités, des médias… »
« Monsieur Macron, libérez la francophonie du Quai d’Orsay ! » entonnent à l’unisson des blogueurs dans les pages idées de Libération. Habari, de RDC et Yaga du Burundi, deux plateformes qui racontent la vie quotidienne dans ces pays déchirés par des crises politiques à répétition et où le fantôme de la Françafrique rôde encore. « Nous, blogueurs congolais de Habari, si nous parlons et écrivons lingala, tshiluba, ou swahili à la maison ou dans nos quartiers, nous communiquons en français d’ouest en est de la RDC. C’est dans cette langue que, du Kasaï au Katanga, nous faisons connaître au monde une jeunesse congolaise vibrante ». Avec plus de 300 ethnies et autant de langues réparties sur quelque 2,3 millions de kilomètres carrés,
Le français est notre trait d’union, la seule langue (officielle) qui unit les Congolais sans les renvoyer à leurs origines ethniques ou tribales, sans les diviser
affirme Christian Kunda, professeur de français à l’université de Lubumbashi.
"De l'universalité de la langue française"
« Parler français, c’est faire société », confirme sur un tout autre plan Bernard Cerquiglini, qui se réfère à la capacité historique de la langue de Rivarol à tisser des réseaux dans l’Europe des Lumières envers et contre la détestation du monarchiste à l’égard des salons éclairés. Aujourd’hui, selon le linguiste, dans l’ouvrage collectif coédité par Le1 et Philippe Rey - Le Français a-t-il perdu sa langue ? - le français est resté une langue de réseaux universitaires ouverts au plurilinguisme : l’Amérique latine, où le Brésil a dépassé la Russie pour la production scientifique, l’Inde, ou la Chine demain… La « biodiversité des savoirs », levier majeur du développement des pays émergents, s’enrichit désormais de la liberté d’expression linguistique.
Par Jacques Munier