L’Entreprenariat des Femmes et des Jeunes au Sénégal

Entretien avec Papa Amadou Sarr, Ministre sénégalais, Rencontres économiques d'Aix, juillet 2021

 

Lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, Benjamin Boutin s'entretint avec le ministre sénégalais Papa Amadou Sarr sur la question du soutien à l’entrepreneuriat, de la francophonie économique, de la circulation des personnes et des échanges internationaux.


Papa Amadou Sarr est ministre, délégué général à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes à la présidence de la République du Sénégal. Auparavant, Monsieur Sarr a travaillé en tant que Directeur général des services financiers et de la compétitivité, et comme conseiller technique principal au ministère de l’Économie, des Finances et du Plan de 2015 à 2018. Il a également été responsable de programme pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre à la Fondation Bill & Melinda Gates à Seattle de 2013 à 2015. Avant son passage à la fondation, M. Sarr a été coordinateur régional, analyste et chargé de recherches au Centre de développement de l'OCDE à Paris de 2008 à 2013.

Monsieur le ministre, pourriez-vous s’il vous plaît nous expliquer quelles initiatives vous menez en faveur de l'entrepreneuriat au Sénégal ?

 

Nous accompagnons les entrepreneurs, les "start-up" et les PME afin qu’ils aient accès au capital, à l’investissement, pour leur permettre de démarrer ou de se développer. En plus de l'accompagnement financier, nous fournissons un accompagnement technique, à travers des séances de coaching, de mentorat et de formation professionnelle. Nous agissons également dans le domaine de la formalisation, sachant que le Sénégal compte plus de 90% d'entreprises informelles, c’est-à-dire que nous accompagnons les TPE et les PME afin qu’elles intègrent le secteur formel de l’économie.

 

 

Quelle est la langue ou quelles sont les langues des affaires au Sénégal ?

 

Aujourd’hui, la langue officielle au Sénégal est le français. C'est la langue principale de l'économie formelle. Mais les langues locales sont les plus utilisées dans l'économie informelle, comme le wolof et le sérère. Cela étant dit, de plus en plus, l'anglais fait son intrusion, surtout pour les start-up [jeunes pousses] du numérique ; on assiste à l’émergence d’une terminologie d'anglicismes. Comme en France, d'ailleurs…

 

L'économie sociale est-elle un levier pour l'emploi des jeunes ?

 

Oui, le Sénégal a même passé une loi ESS, comme le Maroc. Aujourd’hui, le Président utilise ce levier fort, dans le cadre de sa vision de l'équité territoriale et de la redistribution de la croissance, parce qu’il croit au développement des territoires. C'est ce que nous faisons à travers la redistribution, le soutien aux entreprises familiales, la couverture mutuelle universelle et d'autres politiques publiques en faveur de l'épanouissement et de l’autonomisation des femmes, de l'allègement de leurs charges dans les milieux ruraux. Autant de volets qui font partie de l'économie sociale et solidaire sénégalaise !

Le français facilite-t-il les affaires en Afrique de l'Ouest ainsi qu’avec l'Europe ?

 

Oui, en Afrique de l'Ouest très certainement parce que nous faisons partie d’une Union économique et monétaire ouest-africaine dont la langue de partage et de travail est le français. Les textes sont en français, les discours, les discussions entre ministres, présidents, parlementaires, etc. Cette langue facilite les affaires avec l'Europe également, principalement avec la France. Toutefois, de plus en plus, à Bruxelles, on surprend des ministres et des chefs d'État en train de parler en anglais…

 

 

L’Europe partiellement francophone compte aussi la Belgique, la Suisse, Monaco, Andorre… Le Sénégal entretient-il des relations avec ces pays ?

 

Oui, moins qu'avec la France, mais le Sénégal a des relations avec la Belgique, grâce à l'Union européenne, ainsi qu’avec le Luxembourg. Les coopérations luxembourgeoises sont importantes : c'est l'un des partenaires clés pour le développement du Sénégal. La Suisse, un peu moins. Les échanges se développement avec l'Espagne et l’Italie grâce à la présence de Sénégalais qui vivent là-bas. Mais bien sûr, la France reste en tête.

 

Vous dites que les progrès sont légion. Comment évaluez-vous ces avancées ?

 

Une étude vient de sortir, faite par le bureau de suivi du Plan Sénégal émergent, qui a montré une évolution significative du niveau de vie en milieu rural, ces dix dernières années. C’est compréhensible puisque le Président a investi pas moins de 1000 milliards de francs CFA en milieu rural, sur les programmes d'urgence, pour l'accès à l'eau l'accès, aux machines agricoles, aux semences et l'accès aux soins avec la construction de centres de santé et d'hôpitaux un peu partout. Sans compter l'éducation universelle gratuite pour les jeunes et la couverture maladie universelle, pour les personnes de plus de 60 ans. Cet Etat providence a un impact fort sur la qualité de vie des populations, l'équité territoriale et le progrès social.

Le Canada aussi est de plus en plus attractif pour les Sénégalais…

 

Absolument, beaucoup d'étudiants sénégalais migrent au Canada. Beaucoup de sociétés canadiennes de recrutement et de conseil en éducation sont établies à Dakar ; elles font des visas gratuitement pour les étudiants sénégalais ; ils viennent recruter des sages-femmes, des infirmiers, des informaticiens, qui sont formés et employés au Canada. Chez moi, par exemple, à la Délégation [à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes] j'ai quatre "repats" qui viennent du Canada : des ingénieurs financiers et informaticiens diplômés de l’Université Laval (à Québec), revenus travailler pour l'Etat. C'est ce que l’on pourrait appeler la « circulation des cerveaux ».

 

 

La diaspora sénégalaise et les diasporas africaines en général peuvent-elles être des ponts pour faciliter les affaires dans l’espace francophone ?

 

Oui, je suis convaincu à 100% que les diasporas sont les relais naturels entre la France, les pays européens et l'Afrique. Aujourd'hui, un nombre croissant de jeunes sénégalais issus de la diaspora investissent au Sénégal, reviennent au pays, créent de l'emploi.

 

Il est heureux qu’il y ait cette initiative du Conseil présidentiel par l'Afrique, avec qui nous travaillons. Il y a également le programme PASS Africa [parcours dédié aux entrepreneurs issus de la diaspora ayant un projet en France, en Afrique ou sur les deux continents], le Passeport Talent [carte de séjour pluriannuelle délivrée si vous êtes hautement qualifié, souhaitez créer une entreprise, investir en France ou si vous êtes artiste] qui sont très importants.

 

Moi-même, j'ai vécu quasiment 15 ans entre l'Europe et les Etats-Unis, où j'ai encore de bonnes relations. Je demande régulièrement aux Sénégalais qui sont restés à Paris, à Londres et ailleurs d'investir au Sénégal et plus largement en Afrique. On a même lancé un « fonds diaspora » de 5 millions d'euros qui permet aux Sénégalais de la diaspora établis en Europe de faire du co-investissement dans leur région d'origine. Et ça marche très bien !


Sur un plan personnel, que retenez-vous de votre expérience à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ?

 

Ce furent cinq ans intenses entre 2008 et 2013 ! J'ai occupé différentes fonctions : d'abord assistant de recherche, économiste puis en charge de la coopération avec le secteur privé et conseiller du directeur (avec qui j'ai gardé d'excellentes relations). J'ai quitté l’OCDE en 2013. J'ai ensuite été aux Etats-Unis à la Fondation Gates. Mais à chaque fois que je passe à Paris, je ne peux m'empêcher - ou ils ne peuvent pas s'empêcher ! (sourires) - de m'inviter à La Muette [siège de l’OCDE] au Centre de développement, pour échanger, participer à des panels, au Forum Afrique - que j'ai piloté pendant 3 ans - et contribuer à des travaux comme la Revue multidimensionnelle et le Dialogue politique entre les Etats.

 

J'ai eu à conduire l'élargissement de l'OCDE vers l'Afrique avec le directeur du Centre de développement ; nous avons littéralement fait entrer le Sénégal au Centre du développement, mais aussi la Côte d'Ivoire, le Togo et le Maroc (j'ai continué le processus). L'Afrique du Sud était déjà là. Je suis fier de cet élargissement du Centre de développement qui a pu embrasser plus de pays africains et l'Amérique latine. C'était une belle période !

 

 

Une dernière question, si vous le permettez, Monsieur le Ministre : pensez-vous qu'il y aurait davantage de liens à tisser entre l’OCDE et la Francophonie économique, dans le but de favoriser des emplois durables et inclusifs pour les populations ?

 

Oui, l’OCDE est la référence en termes de politiques économiques, de statistiques, de macroéconomie. Quand l’OCDE indique la voie, tout le monde suit ! De nos jours, on est dans une logique plus économique de la Francophonie, orientée " business " - ou « affaires » devrais-je dire. La Secrétaire générale [de la Francophonie, Louise Mushikiwabo] a donné le la, et je pense que ce que son pays [le Rwanda] fait en Afrique sur le plan économique, elle est en train de l'expérimenter aussi au sein de la Francophonie. Abdou Diouf [Ancien Secrétaire général de la Francophonie et ancien Président de la République du Sénégal] était un peu plus consensuel, plus conservateur, focalisé sur la politique, l'intégration, la sécurité, les valeurs...

 

 

Cela reste important mais vous diriez qu’il faut aller plus loin…

 

Tout à fait ! Pour les jeunes que je suis et que nous accompagnons, aujourd’hui ce qui compte, c'est l'économie, la finance, le numérique… Comment créer son entreprise, comment créer de la richesse, comment voyager librement - la libre circulation des personnes, des biens - et comment intégrer davantage l'espace francophone par l'économie.